Un sentiment bizarre. En bon premier de classe, j’ai toujours eu tendance à préparer ce que j’écris. À poser mes idées. À faire des plans. Grand un petit deux. Transition. Conclusion. Mais là non. Je rentre à l’instant du centre d’une non journée convaincante par son absence de toute activité constructive à l’exception d’une étude comparative poussée sur différentes bières nationales. J’avais prévu pour continuer dans cet état d’esprit d’allumer mon ordinateur pour regarder Casino Royal, tout juste loué à bibliothèque, autour de quelques autres bières. Profiter de ce grand appartement sans personne cette semaine pour mettre la Mano Negra à fond et balancer mes chaussettes sales n’importe où. Mais là non. Pas d’aventure extraordinaire je préfère prévenir tout de suite. Une aventure tout ce qui a de plus ordinaire au contraire. Et ce sentiment bizarre. Tant pis, je troque la Mano Negra pour Kenny Arkana et je garde mes chaussettes.
18h. Heure de pointe. Je marche sur la « septima », grande artère de Bogota rejoignant le Nord au Sud, pour rentrer chez moi, faire tranquillement l’adolescent libéré de l’autorité insupportable des gens qui m’hébergent (cf. supra, les chaussettes et tout). Au croisement avec la Calle 19, un type qui part en courant vers le Sud. Un attroupement au coin des deux rues. Une cinquantaine de personnes. Et puis les regards curieux des badauds qui s’agglutinent pour voir ce qui se passe. Six policiers. Le plus vieux a 30 ans. Le plus jeune 17. Un homme qui crie. Qui pleure même. Les policiers sont quatre à essayer de lui passer les menottes mais l’homme hurle se débat. Et la foule l’aide.
Personne ne sait bien pourquoi ce type est arrêté (on saura ensuite que c’était pour avoir acheté un joint à un type, celui qui est parti en courant je suppose) mais les coups pleuvent. Pas de coups au visage mais suffisamment pour mettre l’homme à terre. Un papa a son bébé de 3 ans sur les épaules. Le bébé se met à pleurer aussi. La foule désapprouve. On entend des cris « Hijos de pucha ! ». « Derechos Humanos ! ». « Filmele ! ». Des gens sortent leur portable pour garder des images. Qu’importe. L’homme est traîné jusque l’intérieur d’une boutique. Les gens suivent et la foule s’agrandit. Les cris se font plus fréquents. « Viva la libertad ! ». « Assesinos ! ». Les flics demandent au type d’enlever son tee shirt. Le type refuse mais les policiers « l’aident », tout en douceur évidemment. La tête plaquée contre une vitre, retenu par les flics.
Et à ce moment-là Madame Renée entre en scène. Vous savez Madame Renée de Chacun cherche son chat (Klapish). Une petite vieille comme beaucoup de petites vieilles. Celle qui descend tous les matins à 8h précise chez son boulanger. Celle qu’on bouscule dans le métro parisien parce que « elle pourrait aller plus vite quand même ». Celle à qui on répond à peine à son « Bonjour » dans les escaliers, convaincu qu’elle va nous faire perdre du temps en nous parlant des problèmes de son chat. Cette Madame Renée se faufile entre la foule et s’arrête en face d’un policier. J’avoue ne pas avoir tout compris de ce qu’elle a dit mais je crois pouvoir deviner qu’elle ne lui parlait pas de son chat. Sur ce, le flic la pousse légèrement mais Madame Renée insiste et continue à déverser sa prose animalière. Et là le policier, 20 ans grand maximum, la renvoie cette fois très brutalement « dans les cordes » de l’attroupement. Pas de KO fort heureusement mais une victoire assurée aux points.
À partir de là, je vous laisse imaginer la suite. La foule redouble de rage face à cette agression en pure et due forme d’une petite vieille. Les insultes fusent. Sans la décision salutaire d’escorter le pauvre fumeur de marijuana jusqu’au fourgon de police (décision prise par ce qui semblait être le chef de la troupe, celui de 30 ans), cette histoire aurait pu finir encore plus mal. Finalement, l’homme en question est « escorté » jusqu’à la voiture sous les cris des passants. « C’est un scandale ». « Ou vont mes impôts ? ». Un homme se démarque. Costard-Cravate mais pas la langue dans la poche. Il hurle aux flics. « Je me suis fait attaqué hier dans la rue mais évidemment il n’y avait personne, mais là pour un fumeur de joints il y a mobilisation générale ». Il se tourne ensuite vers la foule : « Retenez la plaque d’immatriculation, le numéro de patrouille, ce n’est pas normal de traiter les gens ainsi dans un pays démocratique ! » Cette précaution prise, (patrouille 17-0699, véhicule immatriculé DCM 576), la foule ne pourra pas empêcher l’homme d’être embarqué, toujours en pleurs, dans le fourgon de police.
18h15. Après quelques minutes où la tension est encore perceptible, la foule se disperse. Chacun rentre chez lui. Madame Renée rentre chez elle. Seul le fumeur de joint ne rentrera pas chez lui mais direction La Modelo. La grande prison de Bogota, qualifiée par El Mundo de « la plus dangereuse du monde », dont la seule évocation fait frémir les Bogotains. Il faut dire que cette prison est la seule où les paramilitaires, les narcos, les dealers, les guerilleros et les politiques corrompus ne sont pas séparés. Officiellement pour « réconcilier les ennemis d’antan » (!). Avec 4 morts par mois, on peut dire que c’est une réussite.
Quant à moi je reste avec ce sentiment bizarre. Choqué bien sûr. Mais aussi surpris. Et plutôt agréablement je dois dire. Sur le chemin jusqu’à chez moi, je me suis rendu compte que la foule avait réagi. Que les gens n’avaient pas passé leur chemin selon la règle du chacun pour soi. Très loin des Charognards de Renaud donc. Et en France ? Vous pensez que les gens se seraient arrêtés ? Que l’homme ordinaire (Monsieur Roux) aurait pris à parti aussi fermement les forces de l’ordre devant ce qui est un abus de pouvoir ? Peut être. Et si le fumeur de joint était jeune et arabe ? Moins sur…
18h. Heure de pointe. Je marche sur la « septima », grande artère de Bogota rejoignant le Nord au Sud, pour rentrer chez moi, faire tranquillement l’adolescent libéré de l’autorité insupportable des gens qui m’hébergent (cf. supra, les chaussettes et tout). Au croisement avec la Calle 19, un type qui part en courant vers le Sud. Un attroupement au coin des deux rues. Une cinquantaine de personnes. Et puis les regards curieux des badauds qui s’agglutinent pour voir ce qui se passe. Six policiers. Le plus vieux a 30 ans. Le plus jeune 17. Un homme qui crie. Qui pleure même. Les policiers sont quatre à essayer de lui passer les menottes mais l’homme hurle se débat. Et la foule l’aide.
Personne ne sait bien pourquoi ce type est arrêté (on saura ensuite que c’était pour avoir acheté un joint à un type, celui qui est parti en courant je suppose) mais les coups pleuvent. Pas de coups au visage mais suffisamment pour mettre l’homme à terre. Un papa a son bébé de 3 ans sur les épaules. Le bébé se met à pleurer aussi. La foule désapprouve. On entend des cris « Hijos de pucha ! ». « Derechos Humanos ! ». « Filmele ! ». Des gens sortent leur portable pour garder des images. Qu’importe. L’homme est traîné jusque l’intérieur d’une boutique. Les gens suivent et la foule s’agrandit. Les cris se font plus fréquents. « Viva la libertad ! ». « Assesinos ! ». Les flics demandent au type d’enlever son tee shirt. Le type refuse mais les policiers « l’aident », tout en douceur évidemment. La tête plaquée contre une vitre, retenu par les flics.
Et à ce moment-là Madame Renée entre en scène. Vous savez Madame Renée de Chacun cherche son chat (Klapish). Une petite vieille comme beaucoup de petites vieilles. Celle qui descend tous les matins à 8h précise chez son boulanger. Celle qu’on bouscule dans le métro parisien parce que « elle pourrait aller plus vite quand même ». Celle à qui on répond à peine à son « Bonjour » dans les escaliers, convaincu qu’elle va nous faire perdre du temps en nous parlant des problèmes de son chat. Cette Madame Renée se faufile entre la foule et s’arrête en face d’un policier. J’avoue ne pas avoir tout compris de ce qu’elle a dit mais je crois pouvoir deviner qu’elle ne lui parlait pas de son chat. Sur ce, le flic la pousse légèrement mais Madame Renée insiste et continue à déverser sa prose animalière. Et là le policier, 20 ans grand maximum, la renvoie cette fois très brutalement « dans les cordes » de l’attroupement. Pas de KO fort heureusement mais une victoire assurée aux points.
À partir de là, je vous laisse imaginer la suite. La foule redouble de rage face à cette agression en pure et due forme d’une petite vieille. Les insultes fusent. Sans la décision salutaire d’escorter le pauvre fumeur de marijuana jusqu’au fourgon de police (décision prise par ce qui semblait être le chef de la troupe, celui de 30 ans), cette histoire aurait pu finir encore plus mal. Finalement, l’homme en question est « escorté » jusqu’à la voiture sous les cris des passants. « C’est un scandale ». « Ou vont mes impôts ? ». Un homme se démarque. Costard-Cravate mais pas la langue dans la poche. Il hurle aux flics. « Je me suis fait attaqué hier dans la rue mais évidemment il n’y avait personne, mais là pour un fumeur de joints il y a mobilisation générale ». Il se tourne ensuite vers la foule : « Retenez la plaque d’immatriculation, le numéro de patrouille, ce n’est pas normal de traiter les gens ainsi dans un pays démocratique ! » Cette précaution prise, (patrouille 17-0699, véhicule immatriculé DCM 576), la foule ne pourra pas empêcher l’homme d’être embarqué, toujours en pleurs, dans le fourgon de police.
18h15. Après quelques minutes où la tension est encore perceptible, la foule se disperse. Chacun rentre chez lui. Madame Renée rentre chez elle. Seul le fumeur de joint ne rentrera pas chez lui mais direction La Modelo. La grande prison de Bogota, qualifiée par El Mundo de « la plus dangereuse du monde », dont la seule évocation fait frémir les Bogotains. Il faut dire que cette prison est la seule où les paramilitaires, les narcos, les dealers, les guerilleros et les politiques corrompus ne sont pas séparés. Officiellement pour « réconcilier les ennemis d’antan » (!). Avec 4 morts par mois, on peut dire que c’est une réussite.
Quant à moi je reste avec ce sentiment bizarre. Choqué bien sûr. Mais aussi surpris. Et plutôt agréablement je dois dire. Sur le chemin jusqu’à chez moi, je me suis rendu compte que la foule avait réagi. Que les gens n’avaient pas passé leur chemin selon la règle du chacun pour soi. Très loin des Charognards de Renaud donc. Et en France ? Vous pensez que les gens se seraient arrêtés ? Que l’homme ordinaire (Monsieur Roux) aurait pris à parti aussi fermement les forces de l’ordre devant ce qui est un abus de pouvoir ? Peut être. Et si le fumeur de joint était jeune et arabe ? Moins sur…
Alexis
Quel rebelle. Je t'imagine avec ta meche au vent criant "policia nacional , milicia del capital"...
RépondreSupprimerC'est pas avec le taux de délinquance local ( qui doit etre négatif ) que je vais pouvoir trouver des articles interessants à écrire.
Marc
Manu habla :
RépondreSupprimerTu peux toujours imaginer tout ce qui est vol de moutons mais c est peu racoleur. Ici la police semble plus peace car non payee, elle ne fait rien, du moins les petits flics. Y a juste un agent saoul qui a bute un mec en sortant de boite la semaine derniere...
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