Raconter un long voyage c’est jamais très facile. On a plein de choses dans la tête, plein de gens différents, plein d’images magnifiques, plein d’odeurs associées à plein d’endroits, pas mal de regrets aussi parce qu’on a fait telle chose et pas telle autre. On en a plein la gueule. On plane un peu quoi. Le problème c’est que dès qu’on met des mots, là, pof pof, d’un coup ça paraît fade, sans saveur, sans vie. Non je ne mens pas. J’ai essayé de raconter mes deux mois aux copains de Bogota, et après deux ou trois secondes de réflexion, ça donnait souvent quelque chose comme « non mais tu sais , c’était vraiment sympa, on s’est bien amusé », suivi généralement d’un poli « ah ok, d’accord ». J’en rajoute à peine. D’ailleurs je me demande comment ça sera quand je reviendrai en France après un an chez les bronzés. Tous ceux qui sont revenus disent que ça fait bizarre, qu’on se sent un peu seul, qu’on n’arrive pas à partager ce qu’on a vécu parce qu’on ne trouve pas les mots.
Comment raconter ce voyage alors ? Oui, parce que deux mois de périple, quatre pays visités, un véritable road trip du Pacifique jusqu’à l’Atlantique en passant par les Andes, tout ça pour plus de 180h de bus, vous vous imaginez bien que ma modestie sans limites pourrait difficilement le passer sous silence. En même temps tout raconter, on peut pas trop. Ça fait long, ça fait difficile, ça fait pas bien quoi. Du coup j’ai un peu réfléchi (si si). D’abord je me suis dit « et pourquoi pas faire des tranches de vie, raconter le voyage par les gens que j’ai rencontré ». Pas mal non ? Mais bon, un peu trop classique sans doute, pas assez original pour l’écrivain solitaire et incompris que je suis. C’est dommage d’ailleurs parce que j’aurais pu parler d’Andrea, celle qui nous a volé l’appareil mais qui nous l’a rendu, mais qui avait effacé les photos, mais que finalement on a pu les récupérer. Ou bien des quatre joyeux Français du Bordelais (d’une moyenne d’âge de 55 ans), revenant de 12 jours d’ascension de l’Aconcagua, que l’on a rencontré dans un vignoble près de Mendoza.
Oui mais non. Finalement je me suis dit que le mieux pour raconter le voyage c’était de le faire à partir de ce qu’on aimait vraiment. Et moi j’aime pas les gens c’est connu. Il faut faire la discussion, souvent en espagnol, parfois en portugais. Parce qu’évidemment dans ces pays-là, personne ne fait l’effort d’apprendre le Français, ce serait trop leur demander. Non, trop fatigant, vraiment. Ce que j’aime moi c’est la bouffe. C’est croquer a pleines dents dans un steak saignant. Avec du pinard bien sûr, il ne faut jamais oublier le pinard.
Mon carne (viande) de voyage commence donc à Lima, ville de gastronomie s’il en est. Ici la ripaille foisonne et le porte feuille sourit. Capitale d’un pays immense, on y goutte de tout et tout est bon. Les péruviens aiment la chair bien tendre, les péruviennes elles la préfèrent très saignante ; comprendra qui pourra. Le problème c’est qu’une fois sorti de Lima, la déception est à la hauteur de la surprise initiale. D’une manière générale plus l’endroit était touristique, plus la bouffe était chère et mauvaise. Dans le sud du pays, la meilleure option restait souvent le pollo broaster, morceaux de poulet frits dans l’huile assez proche de ce que sert le KFC en France, ou l’ arroz chaufa, plâtrée de riz accompagnée de divers condiments. À Aguas Calientes, au pied du Machu Pichu, le demi-burger assorti de huit frites (nous les avons comptées) valait à peu près trois fois le prix d’un repas complet à Lima. Sans la taxe évidemment. Plus drôle encore (haha), en haut du Machu Pichu, le sandwich le moins cher (jambon simple) valait 15 euros, ce qui nous a forcé à marcher quelques centaines de mètres pour trouver le restaurant des travailleurs du Machu Pichu, qui nous a offert un, rustique mais bon marché, sandwich à l’œuf au plat. Non vraiment c’était mieux à Lima.
La Bolivie n’est pas aussi réputée que le Pérou pour sa nourriture. À raison d’ailleurs. J’en veux pour exemple que, sur les trois jours (de trop) que nous sommes restés à La Paz, nous avons mangé trois fois dans le fast food local tant c’était, encore une fois, le meilleur choix. Du point de vue gastronomique, je veux dire. À l’exception du silpancho (viande hachée cuite avec un œuf dur, assorti de salade et de riz), rien ne nous a vraiment transporté dans ce pays. L’étudiant en sciences politiques que je suis me met cependant en alerte de ne pas tomber dans l’ethnocentrisme et juger ainsi la gastronomie d’un pays parcouru à la va vite en 10 jours. D’autant que malgré nos mésaventures photographiques, je dois confesser que j’ai rarement eu le ventre aussi rempli (et bien rempli) qu’au cours de notre traversée de 4 jours du salar d’Uyuni. Je pense particulièrement à ce réveillon de Noël arrosé, passé en plein milieu du désert, avec une dizaine d’Argentins et une Lilloise, si une Lilloise.
Il n’empêche que le choc est grand quand on passe la frontière argentine. Tout est différent. Les filles sont belles, il fait chaud, les routes sont goudronnées, les bus sont confortables, on ne comprend rien à ce que disent les gens. Sans parler de la cuisine, presque aussi bien qu’en France. Oui je dis presque parce qu’il manque quand même le fromage et le bon pain. Et les pizzas aussi tiens. De manière assez étrange, malgré l’immigration italienne, c’est impossible de manger une pizza ne serait ce que correcte. Passés ces petits inconvénients que seule une grenouille narcissique aura notés, c’est quand même un régal à tous les étages. La première milanesa (morceau de viande ou de poulet enrobé de chapelure) dégustée a la ville frontière avait déjà relégué les milanesa boliviennes au fin fond des oubliettes de la gastronomie. La suite ne sera que meilleure. Du premier steak partagé avec Manu au club de sport de Goya aux glaces de Salta, en passant par les vins de la région de Mendoza, ou les vrais expressos avalées en terrasse à Buenos Aires ou Cordoba, tout est excellent. Une mention spéciale pour ce restaurant de Mendoza où nous nous sommes rendus à la sympathique invitation des quatre Français qui revenaient de l’Aconcagua. Un vrai paradis pour tout amoureux de la gastronomie. Tout est à volonté. Tout est bon. Les pièces de viande de l’asado sont tellement grandes qu’on ne peut les finir. Les pâtes sont (presque) aussi bonnes que celles que l’on cuisine à la coloc (enfin moins collées en tout cas). Les crèpes flambées sont juste incroyables, assaisonnées de sirop d’érable, quelques morceaux de pommes, une très généreuse lampée de whysky et d’une boule de vanille pour ce fameux chaud / froid qui fait frémir les papilles. Bref, je reviendrai.
En comparaison, le Brésil paraît bien timide. Et cher en plus. Du coup, notre consommation s’est vue relativement limitée. Peu, voir pas, de rodizio (buffet de viande) au menu, ni même de feijoada (riz, haricots, farofa, porc et viande de bœuf), mais plutôt des X-burger (cheeseburger) et misto quente (croque-monsieur) à tous les repas ou presque. Avec une portion de frites toujours, pour ne pas mourir de faim non plus. Et puis le soir, on rechargeait les batteries à l’alcool local, la cachaça (alcool de canne à sucre), atteignant des niveaux de consommation qui après coup nous ont fait un peu peur, et accessoirement causé à Marc quelques coliques en série. Mais qu’importe la gastronomie, le Brésil reste le Brésil. Faute de manger bien, on mangeait le temps et croquait la vie, passant nos après-midi à faire la sieste sur la plage et dire bonjour aux jolies passantes.
Au final, je me rends compte que j’aurais mangé beaucoup de frites et beaucoup bu pendant ce voyage. Ce sont un peu les valeurs sûres quand on arrive dans un pays inconnu. Mais bizarrement, aucun problème d’estomac, des selles parfaites du début à la fin, tout particulièrement en Argentine. Il aura fallu attendre mon retour en Colombie et un alcool indien à la dangereuse composition pour que mon estomac me lâche. En plein milieu d’un entraînement de volley, ce qui n’est pas sympa, ni pour moi, ni pour les coéquipiers d’ailleurs… Voilà ! Amis de la poésie bonsoir, et bon appétit bien sûr !